"HOP !" : L'interview

 

HOP : Pour commencer dans "l'originalité", quels sont tes date et lieu de naissance ?
Jean-Yves MITTON : Je suis né le 11 Mars 1945 à Toulouse. J'ai donc 42 ans.

Était-ce dans un milieu te prédisposant à une carrière dans le dessin ?
Mon père et ma mère ont des goûts artistiques prononcés. Mon père peint et dessine en dilettante, c'est pour lui une occupation qui n'a rien à voir avec sa profession.
 

A-t'il eu une certaine influence sur toi ?
Oui, ne serait-ce que parce que, déjà, il m'a laissé faire et c'est comme ça qu'enfant j'ai passé des journées entières à dessiner. Puis petit à petit il m'a encouragé et ma mère également. Même lorsqu'il a fallu que je cherche du travail à l'âge de seize ans. Je suis ainsi allé aux Beaux-Arts et ensuite à la recherche d'un travail, carton à dessin sous le bras. Ils m'ont fait confiance et ça a payé... puisque j'ai trouvé du travail au bout de trois mois aux éditions Lug. Mes parents étaient très fiers et pourtant, Dieu sait si j'ai eu une scolarité médiocre ! Chez Lug, j'ai eu tout de suite le pied à l'étrier mais j'ai quand même attendu plusieurs années avant de réaliser ma première bande dessinée.

Mais avant d'être embauché chez Lug, tu n'avais jamais fait une seule BD, ne serait-ce que pour ton plaisir ?
Si, mais comme tous les enfants... Je me suis exercé et j'ai énormément copié, notamment Hubinon et Molinari. C'était pour m'amuser. J'ai même fait un journal pour l'école, pour la classe, qui s'appelait"Aviation"... J'étais de Toulouse, une ville d'aviation elle-même. Je faisais tout de A à Z depuis la couverture et, bien qu'inscrivant le prix sur celle-ci, je le distribuais gratuitement. Le prix, c'était pour faire authentique. Il devait "coûter" vingt francs, c'est à dire vingt centimes d'aujourd'hui... Je faisais six numéros semblables à la main, je ne photocopiais pas et donc je faisais six fois exactement le même numéro de huit pages. Je ne connaissais pas Gutenberg (rires) !. Pparfois un copain faisait le coloriage. Les camarades de classe se l'arrachaient. Si je retrouvais ça, je crois que j'en pleurerais de nostalgie. La parution était mensuelle, quatre pages de texte "dernières nouvelles de l'aviation", et mes BD parlaient elles aussi de l'aviation et plus précisément de la guerre du Pacifique. Et aussi de la bataille d'Angleterre. C'était pendant ma scolarité primaire, du cours moyen au cours élémentaire deuxième année. J'adorais dessiner les chasseurs à hélices de l'époque ainsi que les porte-avions. Après, j'étais en sixième et là, au lycée j'ai continué. En fin de scolarité en arrivant à Lyon, je faisais toujours des BD, c'était en 1958 pendant les événements de la guerre d'Algérie. A ce moment-là j'ai passé mon certificat d'études puis je suis allé aux Beaux-arts un an et je me souviens que mes professeurs lisaient mes bandes dessinées qui traitaient toujours de la guerre, à croire que j'en étais féru.
J'acquérais chez un petit éditeur de Lyon des livres qui n'étaient pas imprimés, au papier donc blanc mais parfaitement reliés. Étaient-ils vierges à la suite d'une erreur, je ne sais pas mais les pages étant excellentes, je dessinais directement sur ces livres. Même la couverture ne comportait absolument rien. Il y avait des petits et des grands formats avec un minimum de cent-vingt pages et l'éditeur qui me les a un jour montrés m'a dit "si vous les voulez, je vous les donne". J'inondais les Beaux-arts avec mes BD en noir et blanc la-dessus.

As-tu encore ces "reliques" ?
Non, tout a disparu, et cela remonte quand même à 1961. Ça fait du temps... Et je suis rentré en novembre de cette année-là aux Éditions Lug.
Pour y faire quoi ?
Pas de BD ! c'est le seul endroit où je n'ai pas fait de BD pendant les trois premières années. Par contre, j'ai tiré la langue sur la retouche, à fond. A l'époque la censure était très virulente... Il n'y avait pas encore le matériel Marvel mais en 1962, LUG a publié la série de science-fiction Dan air, une BD anglaise, la première étrangère qui ne soit pas italienne et qui traitait de tout autre chose que le western qui faisait alors le succès de l'éditeur. A l'origine Dan air s'écrivait Dan Dare mais, pour la prononciation, l'orthographe en a été "francisée". La première retouche, je l'ai faite dans le mensuel qui portait son nom, mais dans la série western "Kinowa". Il fallait que je lui enlève les petites cornes de son masque, qui par la suite lui sont revenues. Tout ce qui était "diablotin" était alors interdit. Je me suis consacré entièrement à mon travail de retouche et j'ai arrêté à ce moment de lire Garry, Spirou, etc...
En quoi consistait exactement le travail de retouche ?
Après Kinowa, j'ai fait des essais sur Tex et sur Blek. Le premier n'était pas évident car derrière Gallépini c'était difficile mais Blek était plus facile. Je faisais des retouches et des pages d'essai. En ce qui concerne les retouches, je les faisais soit sur des photocopies, soit sur des originaux. Pour Tex, il ne s'agissait que de photocopies et pour Blek d'originaux. Lorsque des traits étaient flous sur les photocopies, il fallait les renforcer, et il fallait aussi redessiner les ballons contenant la traduction du texte italien car celui-ci n'avait plus la même longueur. Et là aussi il y avait une censure. Il fallait finir le dessin autour des bulles. Il était découpé à peu près au tiers de la hauteur. Parfois il y avait des dessins entiers à refaire soit à cause de la censure soit à cause d'une mauvaise photocopie. Et l'on supprimait les onomatopées, les "zip", les "bang", les "crack" ainsi que les cris de douleur. Alors que les autres revues de BD n'effaçaient pas les onomatopées, Lug le faisait car ses publications étant considérées comme populaires, le comité de censure à Paris décidait qu'il ne devait pas y en avoir dans leurs pages.
Et pendant trois ans, tu n'as fait que ça ?
Oui, mais ça m'a fait du bien car, pendant ces 3 années, j'ai appris des techniques. Avant, je dessinais à la plume, et là j'ai appris à utiliser un pinceau et également à écrire les textes. J'ai lu des longues séries populaires.
Et après cet apprentissage ?
J'ai fait de l'humoristique et Lug a tout de suite accepté. D'ailleurs, à part l'aviation, mes premières amours étaient les BD d'humour. Cette première série se nommait "Sammy Sam" et contait les aventures d'un vieux cow-boy sur une chaise roulante, shérif d'une petite ville. C'est paru dans "Pim Pam Poum Pipo", fusion de deux titres pour une histoire de commission paritaire. Sammy Sam a duré à peu près un an. Chaque fois il y avait un épisode complet d'une douzaine de planches. C'était en couleurs. Au début je faisais les scénarii avec Monsieur Chrétien, depuis longtemps chez Lug, puis j'ai écrit les histoires tout seul. Mais c'est moi qui ai eu l'idée du personnage. Là j'étais un peu influencé par Morris. L'univers était le même que celui de Lucky Luke avec tous ses personnages secondaires mais sans y mêler des gens réels tels Jesse James ou les Dalton et également sans donner des têtes connues à certains (Gabin, De Funès, etc...). Par contre il y a eu la tête de Mr Chrétien qui ne pouvait être reconnue que de quelques uns et une fois je me suis dessiné en bandit. Mais il ne s'agit là que d'exercices de style. Je signais Sammy Sam du nom de JYM, autrement dit mes initiales, et lorsque je collaborais avec Chrétien, on signait CEJI (Chrétien Jean-Yves).
Après Sammy Sam, qu'as tu dessiné ?
J'ai repris "Pougatchoff" de l'italien Rebuffi. C'était un loup de Sibérie qui s'exprimait, du moins dans la traduction, en un russe de fantaisie avec des terminaisons en "ski" ou "off", par exemple "je bois un couski avec la bouteillof". et puis il m'est venue l'idée d'ajouter un petit personnage aux côtés de Pougatchoff, Popoff qui était son neveu. Et comme on trouvait ce dernier tellement amusant, on m'a demandé d'en faire des histoires sans son oncle Pougatchoff. Pougatchoff est paru dans "Maxi-Pipo", "Pim Pam Poum Pipo" et aussi dans des pockets en bouche-trous vu qu'il s'agissait de récits courts dont les plus longs ne dépassaient pas huit pages. Popoff, quant à lui, est paru dans "Maxi Pipo" dont c'est devenu le personnage le plus important. C'est lui qui est parfois repris actuellement dans les pockets comme en-tête de pages de jeux.
De quel nom signais-tu ces deux séries ?
Je les ai rarement signées, mais quand cela arrivait, c'était toujours JYM. Yves Chantereau a repris Popoff avec moi. Amouricq en a également fait. C'est des petites histoires d'une page. Mais, pour ne pas lasser le lecteur, à côté j'ai créé un petit indien du nom de "Plume", le bien nommé, parce qu'il portait une plume aussi grande que lui. C'était un indien style Hyawatha, de la taille d'un nain de Blanche Neige. Mais sa plume était embêtante pour écrire les textes au-dessus de lui. Popoff et Plume ont duré à peu près deux ans. Tous les mois je faisais ainsi des dizaines de pages plus des couvertures et de jeux.
En ce qui concerne "Pougatchoff", as-tu dû respecter le style de Rebuffi, le créateur ?
Au départ, j'ai respecté le style puis je l'ai abandonné petit à petit pour prendre le mien propre. Mais dans le domaine "reprises" j'ai fait aussi et en suivant le style de la série, des planches de "Pim Pam Poum". Mais là je ne signais pas car je reprenais les dessins d'un autre. Chantereau en a également fait.
C'est après cela que tu as fait je crois ta première bande en couleurs ?
Oui, "Oum le Dauphin" d'après un dessin animé de la télévision, pour un mensuel grand format du même nom. J'ai fait les premiers scénarii avec Navarro, chez lui.
N'était-ce pas un peu contraignant de reprendre ainsi des personnages animés pour en faire une BD ?
Non, pas du tout ! Il fallait suivre les caractères des personnages mais on se détachait des épisodes de la télé tout en restant dans la même atmosphère.
Les têtes, par exemple, étaient moins dans ton style que si tu les avais créées ?
J'essayais de garder au maximum mon propre style et je faisais ça en compagnie d'Onetta qui réalisait en moyenne un épisode quand moi j'en dessinais deux. Il ne faut pas oublier qu'en même temps Onetta s'occupait de Zembla. On signait chacun de notre nom. Et donc, ça devait être la première fois que je signais Mitton. C'était agréable et intéressant. Le scénario s'adressant à un public de jeunes de dix ans était très simple. Il y avait dans chaque numéro seize planches sur trois bandes. A l'intérieur, je faisais là aussi des jeux et puis il y avait les couvertures que j'exécutais à la peinture. Sur les vingt-et-un numéros parus j'ai dû en réaliser dix-huit, les autres étant d'Onetta. J'illustrais également beaucoup d'articles sur les requins, les dauphins.. Parce que le journal tournait autour de la mer. Le journal devait avoir trente-deux pages, et donc il y avait une deuxième série "Animal Parade" qui était une sorte de Muppets Show, mais beaucoup plus pour bambins, sans le côté très sardonique des marionnettes. Au départ c'était des peluches, et Chantereau l'a très bien fait en BD. Plus précisément il s'agissait de marionnettes en peluche qui passaient à la télévision. "Oum" s'est arrêté à peu près à l'époque où j'ai quitté l'atelier en avril 1973. A ce moment-là je travaillais à mi-temps chez Lug, et chez moi. Et c'est à ce moment que j'ai attaqué Blek.
Comment s'est passé cette reprise de Blek (le petit Trappeur) ?
Très bien car c'était un peu humoristique. A la limite du comique et du réaliste, et ça me préparait justement bien au réalisme. J'ai fait une cinquantaine d'épisodes chez moi. Reprendre les personnages n'a pas été dur du tout, je dirais même que c'était une récréation. Avec Navarro, on a fait une nouveauté en le mettant sur deux bandes au lieu des trois habituelles. Les histoires que j'ai dessinées ont été entrecoupées par les épisodes dus à Cédroni mais j'ai été le premier français à réaliser la série après les italiens, les studios ESSE-GESSE qui l'avaient abandonnée.
Avec Navarro, j'ai raconté les origines de Blek. On en a fait un breton qui s'appelait Yann le Roc. Ça commence au début du règne de Louis XVI et il arrive un tas d'histoires au futur Blek. Le petit Yann qui est libéral est séduit par les idées de Voltaire et de Rousseau. Un jour, s'étant révolté contre les compagnies du roi, il est envoyé à l'île de Ré. Un ami de son âge, une quinzaine d'années, est également capturé. Il le retrouvera plus tard dans le second épisode. Il s'évade et fait la connaissance de Voltaire qui deviendra son témoin dans un duel au pistolet qu'évidemment il gagne. En fait l'action est assez intellectuelle, avec de fréquents rappels historiques.

Cela a dû nécessiter des recherches, ne serait-ce que du point de vue costumes ?
Oui, mais c'était assez simple. Il suffisait de choisir à peu près la période de la révolution. On s'est servi des portraits des grands hommes connus et on a fait attention à ce qu'il n'y ait pas d'anachronismes et Dieu sait que Navarro qui a écrit le scénario avec moi est documenté. Je me suis même servi de l'Histoire de France en BD éditée par Larousse. Un simple dictionnaire suffit parfois comme pour La Bastille où Blek a bien sûr également été détenu. A la longue il en a tellement marre d'être perpétuellement traqué qu'il s'embarque avec son père cartographe pour rechercher la passe du nord-ouest au-dessus de l'Amérique du nord, retrouver la Sibérie, aller du côté de l'Orient en passant par l'Occident. Le rêve de Colomb ! après avoir été floué par le capitaine, ils vont faire naufrage au large du Labrador. Le père meurt et Yann (Blek) tombe aux mains d'indiens. Il devient "indien" de la tribu des Montagnais, dans le futur Canada, alors sous contrôle anglais et avec déjà la présence de français. Il devient en grandissant le chef de ces indiens, le "sachem noir" comme le nomment les français. Le sachem noir ou quelque chose dans ce genre, avec de toute façon cette idée de noir. Les anglais reprennent ce terme de noir dans leur langue pour en faire "black" et ce sont les français qui ont "francisé" ce terme à leur tour pour le transformer en Blek ! ce n'est qu'ultérieurement, dans un autre récit que va avoir lieu la rencontre avec Roddy, le petit trappeur et le professeur Occultis. De ce dernier on a également raconté les origines. Origines bourguignonnes. Il est né au milieu des vignobles. J'ai fait les derniers épisodes seul, texte et dessins, Navarro ayant beaucoup de travail à Lug. Et j'ai arrêté pour faire du super-héros.

Dessiner des super-héros, on te l'a demandé ?
Oui, effectivement on me l'a demandé. Et il a fallu d'abord que je fasse mes preuves. Navarro n'a pas choisi le plus facile puisqu'il m'a proposé de dessiner le Surfer d'Argent après les épisodes de John Buscema, en en parlant auparavant à ce dernier qui n'y a vu aucune opposition et Marvel était d'accord. Mais je devais d'abord faire du Buscema.
John Buscema a-t'il vu tes dessins ?
Il les a vus et, par l'intermédiaire de Marcel Navarro, j'ai eu droit à des félicitations.
Comment s'est décidé cette reprise ?
Navarro a écrit un synopsis qu'il m'a proposé. Ensuite on l'a fait ensemble mais il avait pratiquement tout fait. On a réalisé à deux le découpage.

Le style Buscema n'a-t'il pas été dur à reprendre et à respecter ?
Là, j'ai déchiré beaucoup de papier mais finalement Navarro m'a mis en confiance. C'est paru dans NOVA sous le titre "la porte étroite", scénario de "Malcom Naughton", hélas en petit format. Je l'avais réalisé pour le grand et cela se voit car il y avait beaucoup de monde dans mes dessins. Et en réduisant, la couleur s'épaissit...

Pourquoi n'avoir pas continué le Surfer d'Argent ?
Ce sont les américains de chez Marvel qui encaissaient les droits et cela serait revenu trop cher de continuer. Mais c'était prévu qu'il n'y aurait que deux épisodes.

Était-il également déjà prévu que tu ferais tes propres super-héros ?
Oui et Mikros était déjà en route et je prenais de l'avance car la série ne paraissait pas en même temps que le Surfer. En tout cas la transformation du journal MUSTANG était alors prévue, pour en faire un magazine de super-héros français. Ça a failli devenir SUP'HEROS mais on a gardé MUSTANG pour une raison de commission paritaire et ne pas payer une TVA plein tarif.
Personnellement, et comme beaucoup de lecteurs je pense, je t'ai découvert en 1980 avec le premier épisode de Mikros, dans lequel, du moins au début, on sentait l'influence de Marvel Comics et notamment celle de Captain Marvel et des Fantastiques. Était-ce voulu ou non ?
Oui, c'était totalement voulu, et pour faire "américain" je signais John Milton bien que j'aurais pu garder Mitton car il y a en a pas mal dans les annuaires en Angleterre et aux États-Unis.
Avec Mikros, l'influence de Buscema s'estompait.
Ce n'était plus du tout Buscema mais mon propre style que j'ai un peu américanisé. Je trouve que ça faisait même plus américain que les américains.
Depuis les premiers épisodes de Mikros, je trouve que ton trait s'est pas mal amélioré.
Oui et c'est normal, j'ai commencé Mikros en 1980 et en sept ans on fait des progrès. Si je prends depuis Blek, j'ai encore plus progressé.
Lorsque tu t'es lancé dans la veine "sup'héros", peut-être ne maîtrisais-tu pas encore tes personnages, ce qui n'est plus le cas maintenant ?
C'est exact et en ce qui concerne le style, j'ai été plus embêté que pour Blek.
J'ai l'impression, et d'ailleurs un récent article paru dans le n° 100 de TITANS le laisse entendre, que tu n'aimes pas vraiment les super-héros. Est-ce que je me trompe ?
En effet, je ne suis ni lecteur ni amateur de super-héros. D'ailleurs je ne lis plus de bande dessinées à part Gaston Lagaffe.
Est-ce toi qui as eu l'idée du scénario de Mikros ?
Oui, mais auparavant Navarro qui avait envie que Lug se lance dans la brèche super-héros m'avait demandé de trouver un personnage à l'américaine, quelque chose se passant à New York dans un univers de gratte-ciel, dans le style un peu Captain Marvel mais en fait plus Araignée. La série était supervisée par Malcom Naughton/Navarro et je faisais le découpage avec lui. Il m'a donné des tas d'idées comme Termitor, Hoffmann, mais Crabb, Saltarella, Mikros et le Psi viennent de moi. Le Psi, je ne pensais tout d'abord pas l'exploiter aussi longtemps.
A tel point d'ailleurs qu'on le retrouve dans ta série actuelle, "Epsilon".
Oui, et je n'en ai peut-être pas fini avec le Psi.
Mikros a-t'il marché de suite ?
Les lecteurs ont été satisfaits et dès les premières parutions, le courrier a été dithyrambique.
"Ton" New York était imaginaire je pense ...
Totalement. Je n'ai jamais mis les pieds aux USA mais je me suis documenté, notamment sur les bagnoles et les bandes dessinées américaines elles-même m'ont aidé.

Des lieux précis, par exemple l'aéroport La Guardia, ne doivent-ils pas être dessinés de façon exacte ?
Oui, certains endroits doivent être ressemblants mais est-ce si important finalement ? Pour le lecteur français, je crois qu'il faut faire de l'imaginaire, même représenter les voitures plus grandes qu'elles ne sont et pourtant Dieu sait qu'elles sont déjà grosses. Faire les buildings un peu plus tels que les enfants les voient dans leur imagination. Je crois que c'est d'abord ça le fantastique et que le lecteur attend quelque chose qu'il ne peut pas voir dans le réel. Pourquoi, à la limite ne pas montrer New York comme une autre planète tout en étant vraisemblable ? c'est pour ça qu'une borne d'incendie au milieu d'un bloc d'immeubles qui n'existent pas, donne la note réaliste. Le costume de flic est important. Le petit détail fait le réalisme. Et je n'utilise les documents que parcimonieusement.

Est-ce parce que tu en avais assez des États-Unis que tu as fait évoluer Mikros dans d'autres décors et d'autres lieux, l'Italie, la Suisse... ?
Les aventures aux USA avaient bien marché mais c'est vrai que j'en avais un peu marre et la formule "sup'héros" de Mustang s'arrêtant, j'ai eu envie de changer. Dans Mustang, il y avait aussi la série portant ce titre et dessinée par Onetta qui se passait aux États-Unis, d'après une de mes idées d'ailleurs. Le héros s'appelait Ozark du nom d'une chaîne de montagnes située entre l'Oklahoma et le Texas. Mustang était son cheval. Ça n'a pas très bien marché. Je n'en veux pas à Onetta mais il n'avait pas le trait ni la vision du super-héros. Il l'avait trop européanisé, ce qui va très bien pour Zembla mais pas pour un récit à l'américaine.

Mustang ne marchant pas, tu as créé une deuxième série texte et dessins pour la remplacer, Cosmo, et que tu regrettes beaucoup actuellement je crois ?
Oui, et Cosmo a bien marché. Il ne s'agissait pas de super-héros mais de science-fiction sans aucune référence terrienne hormis à la fin. Il y avait à la fois du réalisme et de l'humour et il est vrai que je regrette énormément la disparition de Cosmo car je m'amusais à le dessiner avec une planète différente chaque mois. Les très jeunes lecteurs aimaient beaucoup. C'était en quelque sorte une série familiale. Ça n'a jamais paru ailleurs que dans Mustang.

Mikros plus Cosmo, décidément tu travaillais d'arrache-pied à ce moment-là.
Je dessinais de front non seulement ces deux séries mais également les couvertures de la plupart des titres Lug, des posters, des jeux, des publicités d'albums, des illustrations d'articles et en plus de tout cela, pour les arméniens de Lyon, je faisais l'histoire de l'Arménie. Et si j'ai arrêté Cosmo, c'était pour me consacrer pleinement à Mikros qui continuait dans TITANS.

Dans quelles circonstances as-tu dessiné cette Histoire de l'Arménie dont j'ignorais l'existence ?
C'était pour un parti politique arménien qui voulait commémorer l'anniversaire du génocide par les Turcs en 1915. J'ai donc dessiné pour eux une quarantaine de planches de 4 bandes chacune en noir et blanc plus couverture. Les scénarii étaient d'André Pelletier. Il m'a fallu beaucoup de temps pour les faire car il y avait une très grosse documentation en ce qui concerne les costumes, les personnages historiques, etc... Cette documentation m'était fournie mais il a fallu quand même que je l'épluche. C'était un travail pédagogique. Je ne pouvais pas me permettre la moindre fantaisie, d'autant moins que l'album était destiné à des gens au courant et qui connaissaient l'histoire de leur pays.
A combien d'exemplaires ce volume a-t'il été tiré et comment était-il diffusé ?
Je crois qu'il y a eu une dizaine de mille d'exemplaires, il y a beaucoup d'arméniens à Lyon. L'ouvrage était vendu au cours de leurs fêtes.
Revenons à Mikros. Peux-tu me préciser plus en détails pourquoi tu as voulu sortir du cadre américain ?
Il y a le fait qu'en passant de Mustang à Titans, Mikros s'insinuait au milieu de séries authentiquement américaines. Et il fallait que je me détache. J'avais envie de retrouver mon propre nom, ne plus signer Milton. Et comme je m'étais rendu à Venise avec ma femme et que j'ai trouvé ce cadre absolument merveilleux, je me suis dit qu'il siérait à merveille pour Mikros. Pour retranscrire les décors, je me suis servi des photos de dépliants touristiques. J'ai fait comme ça cinq épisodes à Venise. Ils ont eu un effet incroyable si l'on en croit le courrier des lecteurs. Et après, je me suis dit pourquoi pas Paris, Lyon, Genève...
Mikros marchait bien, alors pourquoi as-tu mis fin à la série ?
J'en ai eu marre. J'ai quand même, pendant près de six ans dessiné chaque mois des épisodes de seize à vingt planches, à part trois dessinés par Amouriq sur scénario de Nolez. Et puis je n'arrivais plus à trouver un nouveau truc pour que Mikros se réduise à une taille infinitésimale. Continuer serait devenu une corvée, aussi bien pour moi que pour le lecteur.
A l'époque de Mikros, tu as réalisé des épisodes de Photonik et même encore récemment. Pourquoi ?
J'ai fait beaucoup d'épisodes de Photonik parce que Tota est trop lent et qu'il ne peut suivre le rythme de parution. Et Photonik a eu pas mal de succès, maintenant il en a moins car il se passe pas mal de mois entre deux aventures et le lecteur oublie vite. Je suis particulièrement fier du dernier Photonik paru dans Spidey, "L'Ombre". je regrette qu'il ne soit pas paru en album car j'avais prévu le découpage pour cette forme de publication.
Est-ce toi comme dans le cas de Mustang ou bien Tota qui a eu l'idée du personnage de Photonik ?
C'est une invention totalement "totienne". Il a tout créé de A à Z et d'ailleurs l'idée était très bonne. Je lui avais proposé d'écrire des scénarios car c'est là qu'il peine le plus, pas dans le dessin. Mais il a refusé. Il veut tout faire dans les épisodes qu'il conçoit. Tout faire, mais lentement.
Mais que tu fasses de ton côté certaines aventures de son héros, cela ne l'a pas gêné ?
Non, mais je ne me suis mis à Photonik qu'avec son accord via l'intermédiaire de Navarro qui l'a mis au pied du mur. La série marchant, il fallait qu'elle continue de paraître. Et lorsqu'on m'a proposé ce travail, j'ai demandé à faire moi-même les scénarios. Je ne voulais pas attendre après Tota. Et j'ai respecté l'idée et l'atmosphère de la série. Si je devais reprendre un personnage d'un autre dessinateur, régulièrement, je choisirais Photonik plus que toute autre chose car je me suis régalé en le dessinant.
Sitôt Mikros terminé, Epsilon a pris la suite. Comment t'es venue l'idée de ce nouveau personnage ?
Je suis allé trouver la patronne de chez Lug, Claude Vistel et lui ai parlé de Mikros et de mon intention d'arrêter. Je lui ai dit qu'à mon avis ce personnage était arrivé à un point limite et qu'il ne pourrait désormais que redescendre et les lecteurs se lasser, comme moi-même. Avec moi, j'avais le scénario d'Epsilon, préparé longtemps auparavant sous le nom d'Orion. Elle a trouvé cette nouvelle histoire pas mal tout en me demandant de continuer Mikros. Et quand j'en ai eu marre, j'ai ramené Orion dans lequel j'avais effectué quelques changements comme par exemple en ce qui concerne l'époque, 2086 et non plus 1986, le Psi avait remplacé Ciberg ou Ciborg. Et comme il y avait déjà Orion le laveur de planètes de Gigi et Moliterni, on a cherché un autre nom. Comme je voulais qu'on retrouve "psi" dans ce nouveau titre, j'ai cherché dans l'alphabet grec et Epsilon est tombé impeccablement. Heureusement rien n'était déposé sous cette appellation. Précédemment j'avais eu des problèmes du même genre avec Cosmo que je voulais appeler primitivement Galax mais il y avait déjà un Galax dans la bande dessinée. Il y a des millions de titres déposés mais il y a prescription au bout de trois ou cinq ans permettant de prendre un nom non utilisé durant ce laps de temps. Finalement je préférais Epsilon à Orion, ça sonnait mieux. En tout cas, Epsilon a été immédiatement adopté, sans problème aucun. Et tout de suite après avoir écrit le mot fin à la dernière case de Mikros, j'ai attaqué la première planche d'Epsilon.
Dans le synopsis proposé à Lug, tu avais déjà tout imaginé, y compris la fin qui paraîtra dans le numéro de décembre 87 de Titans ?
Non, pas la fin et d'ailleurs il ne faut jamais l'imaginer. Je ne savais pas combien de temps cela allait continuer et à l'époque Lug ne signait pas de contrat. Je savais qu'Epsilon s'évadait d'Eden, qu'il se révoltait contre son père et que toute l'histoire serait cette révolte. La révolte du fils contre le père et la quête de la mère.
Il y a un rapport entre les deux séries, Mikros et Epsilon ne serait-ce que par la présence du Psi dans chacune et également par celle de Saltarella que l'on sent en filigrane dès le début (du moins le lecteur ayant connaissance des tribulations des "sup'héros").
Il y a effectivement une filiation entre Mikros et Epsilon mais c'était peut-être une filiation un peu inconsciente d'une fin où le héros allait retrouver sa mère. Alors, pourquoi pas Saltarella plutôt qu'une femme sans visage. Saltarella que l'on découvre petit à petit et que le lecteur de Mikros a parfaitement deviné. "Ma mère est partie sur une étoile avec deux compagnons...".
N'y a-t'il pas cependant un changement quand même radical entre les deux séries, la science-fiction prenant le relais de l'univers super-héros ?
Oui, le cadre a complètement changé mais Epsilon a cependant quelques super pouvoirs et il a surtout une volonté. Sa force réside en la quête. Une quête qui se passe dans cent ans, dans un 2086/87 qui ne sera probablement pas tel que je le vois. J'ai voulu un futur très BD, dans la tradition.
On pense même au Christ en lisant Epsilon, d'ailleurs tout comme lui on le crucifie.
Oui, il y a du Christ en lui. Lancelot un peu aussi...
Changement notable avec Epsilon par rapport à ce que tu as précédemment réalisé : un récit très long en vingt-et-un épisodes et non plus des histoires en quelques tranches, rarement plus de quatre ou cinq. Une action lente qui te permet de développer la psychologie des personnages principaux. Comment cela a-t'il été perçu ?
Au départ, on me faisait un peu la gueule chez Lug à cause de ça et, dans le courrier des lecteurs cinq à six pour cent d'entre eux trouvaient également que c'était trop long mais les autres étaient enthousiastes. Je pense que les lecteurs vont être déçus par la fin, maintenant proche. Je n'ai plus que trois épisodes à dessiner et après la parution du dernier il y aura une interruption de cinq mois, e qui me permettra de prendre de l'avance sur Kronos, la série qui prendra la suite.
A l'époque de Mikros, Lug a publié directement en album, Blackstar dessiné et écrit par toi, d'après un succès télé. Comment est-ce venu ?
C'était une série américaine en dessins animés. D'abord treize épisodes suivis ensuite de vingt-six nouveaux et on a proposé aux Éditions Lug, à peu près en même temps qu'à Pif (Pif Gadget dessiné par GATY) d'en faire une bande dessinée. Ce qui m'a permis de faire un album de commande. Je précise bien, de commande.
Y a-t'il eu des BD américaines d'après la même série télé ?
Non, il n'y a qu'en France que cela s'est fait.
Il s'agissait pour toi d'un travail bien différent de ce que tu avais l'habitude de faire.
Dans le trait et dans l'esprit cela diffère effectivement. C'était une histoire pour les petits. Pour ma fille qui a maintenant onze ans, c'est trop édulcoré. Elle préfère de loin Epsilon.
A côté de toutes les BD que nous venons d'évoquer, tu as réalisé nombre de couvertures chez Lug, aussi bien western que super-héros...
C'est une vieille histoire. Plutôt que de les commander en Italie ou bien aux États-Unis, Lug me les confie. C'est un travail de commande là aussi et je dois m'approcher le plus possible du dessin d'origine contenu à l'intérieur du magazine pour que le lecteur s'y retrouve. Il faut une certaine fidélité mais j'y mets cependant un peu ma griffe. Je ne signe jamais ces couvertures. J'ai fait, en plus du dessin, la maquette de couverture de Saga et aussi les dessins de sommaires des publications Lug, tous à part une ou deux exceptions. L'ancienne présentation de sommaire de Rodéo était de Roger Médina qui est un très bon dessinateur.

Quels sont tes projets ?
Eh bien, après Epsilon, j'entamerai les aventures de Kronos. Il y a eu dans le passé un personnage du même nom mais il y a prescription. De toute façon c'est un titre excellent et qui va bien à cette nouvelle série. Kronos est un jeune homme venant d'une constellation extérieure à la nôtre, d'un soleil lointain. Il fait partie d'une mission scientifique au sein de laquelle il s'occupe d'éthologie, de zoologie, d'exobiologie, de toute la vie concernant les planètes rencontrées. Il fait équipe avec une jeune fille, ALIAH. L'équipe vient sur Terre pour l'étudier, il y a environ vingt-mille ans. Époque cro-magnon avec mammouths... En même temps on doit célébrer les noces de la jeune fille et du héros qui ne s'appelle pas encore Kronos. Est-ce ou non le hasard, toujours est-il que les scientifiques se posent au confluent d'une rivière et d'un fleuve qui deviendront plus tard la Saône et le Rhône. Là, vit une tribu. A l'issue de la cérémonie nuptiale on offre au nouveau couple une montre à chacun, signe de noblesse et de fidélité à l'empire auquel ils appartiennent. Ce n'est pas un jouet mais l'utilisation de cette montre peut être ludique puisqu'on peut sen servir pour voyager dans le temps. Olphir est son nom. Cependant, on ne peut voyager gratuitement temporellement mais toujours sous contrôle de l'empire et il faut obligatoirement revenir à telle heure sans toucher ni au passé ni au futur. La tribu cromagnon entre en guerre. Six jeunes hommes ont comme épreuve initiatique de s'emparer des deux montres. Kronos et sa compagne sont donc attaqués et poursuivis dans la nuit. Lui, en manipulant sa propre montre, se retrouve dans le futur, au même endroit devenu Lugdunum et rencontrera Sainte Blandine en laquelle il croira voir Aliah, et il fera aussi la connaissance de l'évèque Pothin. Aliah, quant à elle se retrouvera dans le passé. Egalement au même endroit, puisque le voyage temporel s'effectuera toujours d'un point à ce même point d'une époque à une autre. Kronos, le naufragé de l'espace-temps vivra une quête qui le mènera de siècle en siècle à la recherche d'Aliah et il côtoiera souvent des personnages historiques mais Aliah et lui ne se rencontreront plus.
(Note de F-X B. : Je me suis permis de résumer les propos de JY Mitton au sujet de Kronos et d'en sauter une partie, ceci afin que la surprise de la découverte soit plus grande chez le lecteur, qui, j'en suis sûr, ne sen plaindra pas. Rendez-vous dans Titans en juin ou juillet 1988 !)

A part Kronos, j'ai également en projet une série de récits complets pour Le Journal de Mickey. Cette fois je n'en suis pas le scénariste. Les textes sont de François Corteggiani. Chaque épisode de l'Archer Blanc comprendra dix planches. Une histoire toute les cinq semaines, à peu près. La première en octobre de cette année.
L'Archer Blanc vit dans la forêt de Sherwood, comme Robin des Bois mais à une époque indéterminée. Le lieu également d'ailleurs puisque ce Sherwood est très différent de celui de Robin. Disons que l'époque et le lieu sont synthétiques et que les récits se rattachent à l'heroic fantasy. L'action commence après une guerre. La paix est retrouvée et le justicier dépose son arc magique aux pieds des juges qui le font sertir dans un bloc de cristal. Trois siècles idylliques s'ensuivent jusqu'à la venue du tyran Klovos et la légende prétend alors que "l'archer reviendra et tirera l'arc de sa gangue de cristal". Cela fait penser à Arthur et à Excalibur.
L'Archer Blanc aura pour compagnons Arko et Tork et son arc sera doté de flèches à différentes fonctions (flèches explosives, à gaz, etc...). voilà quels sont mes projets immédiats.


Propos recueillis chez Jean-Yves MITTON le 1er Juillet 1987 par François-Xavier BURDERYON


 

- Tous droits réservés : Jean-Yves MITTON - HOP ! -