Jean-Yves MITTON : un Français dans l'univers des Comics

Saluons l'initiative des éditions Sang d'Encre pour avoir commencé à rééditer les aventures "insectoïdes" de Mikros, rendant du même coup hommage à ce qui fut dans les années 80, l'une des séries les plus curieuses des magazines "Mustang" et "Titans" : "Mikros, titan microscopique" du scénariste et dessinateur français Jean-Yves MITTON, alias John Milton.
Aujourd'hui installé à la campagne, dans les Dombes, JY Mitton, auteur prolifique et talentueux, se souvient pour nous avec sympathie et modestie de ces années comics...

HORSPRESS : Quels sont vos premiers souvenirs de lecteur de BD ?
Jean-Yves MITTON : C'était surtout les BD américaines arrivées après la guerre en même temps que les GI's en Europe : des BD populaires "jetables" comme TARZAN, MICKEY ou PIM,PAM, POUM. Je lisais aussi les magazines HURRAH ou L'INTREPIDE et les BD à la BLEK LE ROC ou TEX WILLER. Ensuite j'ai découvert TINTIN et les BD belges vers quatorze quinze ans quand je suis allé à l'école des Beaux-Arts à Lyon. Dans ma famille, on appellait ça des BD bourgeoises [rires], des BD où il ne se passait rien, ennuyeuses... J'y ai pourtant découvert des chefs-d'oeuvre.

Vous êtes rentré en 1961 aux éditions LUG. Vous aviez à l'époque seize ans... En quoi consistait votre travail ?
J'ai était engagé comme retoucheur. Les éditions LUG importaient du matériel d'Italie, d'Angleterre, mais assez peu, à l'époque, des Etats-Unis. Mon travail consistait à reformater les vignettes, à les recadrer et à les retoucher, couleur par couleur, pour répondre aux exigences de la traduction. A l'époque, la censure sévissait énormément en France et la BD recevait des coups terribles. Des pages entières étaient supprimées, y compris dans les importations. Il fallait rhabiller les femmes, raboter les nichons, les fesses, enlever dans les textes tout ce qui pouvait ressembler à des cris, à de la violence, les onomatopées, BANG, CRAC, BOUM... Parfois, il fallait refaire certains décors pour les rendre un peu plus apaisants. Tout ce travail prenait six personnes à temps plein, toute l'année, aux éditions LUG.
Ce fut une bonne école ?
Un peu longue. J'y suis resté onze ans ! Mais ça m'a appris toutes les ficelles. Je m'y suis fait des copains et mes premières relations BD.
Après avoir repris dans les grandes lignes "Pim Pam Poum", puis "Blek le Roc", "Kiwi", "Tex Willer", vous avez également retouché des épisodes des super-héros américains.
Tout à fait, dans le même élan. En 68-69, lorsqu'il y a eu les premières publications de Marvel via LUG, il y a eu un véritable engougement. Le journal Strange est monté très vite à 140 000 exemplaires sur un tirage de 150 000. Le peu qui restait était relié en album et vendu dans les gares. Face à une très forte demande, nous avons parfois manqué de matériel. De plus, les droits de reproduction des "comics" étaient assez chers ! On a alors demandé la permission d'écrire nous-mêmes des histoires d'après celles des américains ; j'ai alors réalisé deux Spiderman, deux Torche humaine, tirés des 4 Fantastiques et puis deux Surfer. Je ne compte pas les couvertures : j'en ai dessiné des centaines, pour Strange, Spidey ou Nova...
J'aimerais maintenant que l'on parle un peu du contexte de création du personnage de Mikros. Que vous a-t-on demandé exactement ?
On nous avait proposé de créer des personnages qui devaient figurer aux côtés des super-héros américains. Il n'était pas question, au départ, de créer un journal spécialement pour Mikros, ça paraissait trop risqué. Les édtions LUG ont contourné la difficulté en faisant paraître Mikros dans un ancien titre : Mustang. Ca a marché tout de suite.
Avez-vous longtemps tâtonné avant d'arriver au personnage de Mikros tel que nous le connaissons ?
Non. On était dans l'élan, dans la fougue "Stan Lee", "Marvel". L'idée de base du personnage de Mikros, c'était le rapetissement. Je voulais faire en sorte que le monde environnant et domestique devienne synonyme de dangers épouvantables : un évier qui se vide, c'est un véritable typhon ; une guêpe devient un monstre extra-terrestre ; même un petit chat peut se transformer en fauve terrible. J'ai même diminué Mikros jusqu'à l'atome puisque, dans un épisode, il doit pénétrer dans le cyclotron du C.E.R.N., en Suisse, pour sauver le monde... comme toujours. Je crois que cette idée du rapetissement faisait l'originalité du personnage. Même s'il y avait eu auparavant Ant-Man, ce n'était pas tout à fait la même chose.
Oui, chez Ant-Man, il n'y avait pas de transmutation.
Voilà. Mikros, lui, se transmutait grâce à l'électricité. C'était une idée simple. L'électricité est domestique. Elle est partout. La moindre prise de courant, un rasoir électrique ou une pile suffisaient à le transformer... De plus, avec l'électricité, puvait survenir le côté accidentel : la foudre ou la chaise électrique, par exemple, pouvaient provoquer une transmutation inopinée.
Au début de la série, d'ailleurs, Mikros maîtrise mal ses pouvoirs et n'en connaît pas encore l'étendue...
C'était l'une des périodes les plus intéressantes. Pour le super-héros, la découverte de ses propres pouvoirs ne peut se faire qu'au fur et à mesure, à travers les péripéties : il arrête des gangsters, les gangsters à leur tour rétorquent, le super-héros est alors obligé de trouver une solution, et il se découvre un nouveau pouvoir.
Avez-vous eu tout de suite l'idée de créer un trio : les trois personnages, Mikros, Saltarella, Big Crabb et non pas un héros solitaire, comme Spiderman ou Iron Man... ?
Oui. Dans la BD populaire, les duo, trio ou quatuor sont fréquents. Je pense aux 4 Fantastiques, aux Vengeurs... C'est l'idée d'équipe qui domine. Mikros s'adressait à des jeunes, et les jeunes vivent en bande. Dans ma BD, je voulais reconstituer ce phénomène de la bande, donc de l'entraide, de la complicité, mais aussi de l'affrontement. Il est un fait qu'entre Crabb et Mikros, il y a une différence totale à tout point de vue. Et Saltarella, ma foi, représente le trophée, la présence féminine. Nunuche au départ - parce que la femme n'arrivait pas à trouver sa place dans le monde des super-héros - elle s'affirme peu à peu.
A mon avis, ce qu'il y a d'étonnant chez Mikros, ce sont ses ambiguïtés, ses zones d'ombre. D'abord, parce que vous commencez par singer la série Mikros sous le pseudonyme anglo-saxon de John Milton. Etait-ce une stratégie éditoriale, un passage obligé ?
Oui, c'était une stratégie. Il fallait mentir. Dans les sixties, un groupe français de rock'n roll qui débutait sa carrière ne pouvait pas s'appeller "Les déboucheurs de tuyaux" ou "Les petits gars de Belleville"... Il fallait des pseudonymes à consonance anglo-saxone comme "Johnny Halliday" ou "Eddy Mitchell" pour flatter le goût américanisant du public.
On a souvent l'impression à la lecture de "Mikros" d'être proche du second degré, voire d'une certaine dérision. On a l'impression que vous sembler jouer un double jeu : raconter véritablement une histoire et, en même temps, la démystifier - je fais référence à vos apparitions repétées qui jettent le trouble dans la série, notamment quand vous êtes en garde à vue avec Malcom Naughton dans l'un des épisodes publiés dans "Mustang", ou dans le coup de théatre qui conclue le dernier épisode de la série, qui se joue directement dans les bureaux des éditions LUG. Du même coup, vous donnez au récit un certain décalage.
C'était un clin d'oeil, une manière européenne, latine d'envisager le monde des super-héros.
Ca ne se retrouve pas chez les super-héros américains ?
Je ne crois pas. Les américains prennent les super-héros au sérieux. Je suis persuadé que la majorité d'entre eux croient sincèrement qu'il y a des types en slip sur leurs toits, qui se promènent de gratte-ciel en gratte-ciel, et qui sauvent la bannière étoilée toutes les nuits. Les américains appliquent leurs rêves au sérieux. Alors que chez nous, GOTLIB se permet de dessiner Super-Dupont... Si j'avais pu faire finir Mikros et ses amis en charentaise au coin du feu en train de caresser le chat, je l'aurais fait.
J'ai lu dans le livre de Cartillier et Martinet, qui vous est consacré, que vous n'aimiez pas trop l'univers des super-héros. Pourquoi ?
Disons que j'avais du recul par rapport à cet univers. J'aimais sans aimer. J'aimais parce que c'était ma profession ; je m'amusais. Je savais très bien que ce que j'écrivais c'était des fables.
Toujours dans le livre de Cartillier et Martinet, vous vous interrogez sur le succès des super-héros en France, un phénomène, qui selon vous, "tient du miracle", vu l'esprit cartésien des français. Et vous ajoutez "sans la puissance de Marvel, cela n'aurait jamais fonctionné..." Je ne suis pas convaincu. Je me demande quand même si malgré notre "cartésianisme", l'univers des super-héros ne touche pas tout simplement une partie de notre imaginaire, de notre inconscient collectif sans que Marvel n'intervienne.
Peut-êtr, mais il faut une puissance derrière. Mickey ne se serait jamais imposé dans le monde entier, si, derrière, il n'y avait pas eu la puissance "disneyenne". Pour imposer sa culture, l'Europe fait des efforts énormes. Il faut des dizaines d'années, des révolutions et un passage obligé par les Universités, les intellectuels. Les américains, eux, ne s'embarassent pas de tout ça. Je dirais que le super-héros a été imposé en France par une déferlante "Marvel" très efficace.
Comment considérez-vous le travail de Frank Miller ?
J'aime beaucoup son style et son dessin. J'ai été parmi les premiers à le découvrir. Je crois qu'il était capable d'illustrer n'importe quel scénario. Il avait une patte révolutionnaire. Il n'avait pas peur de mettre des inserts, chose que ne faisaient jamais les autres dessinateurs de la Marvel. Aujourd'hui, c'est devenu systématique et ça a rendu le dessin presque illisible. Miller a réussi à se faire un nom, alors que les dessinateurs américains travaillent en atelier dans un relatif anonymat et sont bien souvent obligés de se plier à l'esprit Marvel, à la marque de fabrique et d'imiter le style des maîtres : il y a eu le style de Buscema, et auparavant il y avait eu celui de Kirby...
Et que pensez-vous du dessin de Jack Kirby ?
J'admire beaucoup Kirby, sa façon d'aller à l'essentiel, d'évacuer le décor et tout ce qui peut encombrer. Chez Kirby, le décor n'est là que pour rentrer dans le mouvement du héros, dans son dynamisme. Ses immeubles, par exemple, sont d'une simplicité enfantine. Il ne dessine ni celui de la Paramount, ni l'Empire State Building. Ce qu'il représente, c'est la ville américaine par excellence.
Au fond, vous préférez un dessin plus classique, style école franco-belge...
Je pense que la BD style franco-belge est plus authentique parce qu'elle représente d'abord la vie. Elle me paraît plus réaliste. Alors que le super-héros a un total détachement envers l'histoire humaine. Il se moque bien de ce qui se passe dans la cour intérieure de son immeuble, des révolutions... En fait, les super-héros ressemblent aux dieux grecs. Ils se battent au sommet de leur Olympe, à coups de neutrons, en se fichant des contingences. Le Surfer d'Argent, aussi beau, sensuel soit-il, surtout celui dessiné par Buscema - est une sorte de Christ venu d'ailleurs, mais il reste désincarné. Il ne connaît pas la souffrance physique... Il n'y a rien de pire qu'une rage de dents !... C'est l'horreur une rage de dents !... Or, le Surfer et tout le Panthéon des super-héros ne souffriront jamais des dents. C'est tout ce que je leur reproche.
Revenons à "Mikros". Vous avez fini par signer la série de votre vrai nom : Jean-Yves Mitton. Pourquoi avoir repris votre véritable nom en cours de route ?
Par lassitude. Je n'aime pas utiliser des pseudonymes.
Ca coïncide avec l'arrivée de Mikros en Europe. Avec le changement de géographie, vous aviez l'impression de mieux contrôler le personnage ?
Oui. En retrouvant mon nom, en retrouvant l'Europe, je revenais à une plus grande authenticité, à un plus grand bonheur de dessiner et de créer. Je me sentais plus impliqué. Notamment en représentant ce qu'il y avait autour de moi : en particulier la région lyonnaise, mais aussi la Provence et Paris.
Au départ, "Mikros" était supervisé par Malcom Naughton alias Marcel Navarro... Qui était donc Marcel Navarro ? Et quel a été son véritable rôle dans la mise en oeuvre de "Mikros" ?
Marcel Navarro était le directeur de publication des éditions LUG et on voulait tous les deux raconter des histoires. A l'époque, on était des amis, mais aujourd'hui ça a un peu changé...
Poourquoi avoir arrêté la série "Mikros" ?
J'avais épuisé le sujet : 74 épisodes, c'est pas mal ! J'ai ensuite proposé à Marcel Navarro une autre série : "Moi, Epsilon, quinze ans fils du néant". C'était une sorte de filiation naturelle avec Mikros, mais il y avait changement de temps, d'époque, pour verser dans l'héroïc-fantasy et l'histoire post-atomique. Je voulais raconter l'histoire de cet enfant à la recherche de ses racines, de sa mère, et en conflit ouvert avec son père. C'est la vieille histoire d'Oedipe qui recommence. Epsilon me paraissait plus intéressant parce qu'il n'avait rien d'un super-héros ; il évoluait dans un univers domestique peu rassurant et où tout était régi par des ordinateurs, sortes de Big Brothers.

Pensez-vous que "Mikros" a eu du succès dans "Titans" parce que vous aviez réussi à capter quelque chose de typiquement français ?
Je pense que Mikros a eu du succès parce que je l'ai fait évoluer avec moi. IL y a eu mon mariage, la naissance de ma fille, mon installation ici, à la campagne... Tout cela, je l'ai, d'une certaine façon, intégré dans ma bande dessinée pour que mon personnage soit plus près du lecteur. Le super-héros type "Marvel" est très loin du lecteur. Il est ce que voudrait être le lecteur. Or, Mikros, sur la fin, n'est pas du tout ce que voudrait être le lecteur ; il est le lecteur. On ne la lui fait plus. Il se rend compte que le monde n'est pas si manichéen avec les bons d'un côté et les méchants de l'autre.

Parlez-nous de l'un des principaux méchants de la série, le Psi.
J'avais envie que mon super-vilain, le Psi, ait des racines. C'est une sorte de vieux Comte désabusé, propriétaire d'un château à Paris, qui se dit descendant du Comte de St-Germain, etc... et que l'on retrouve plus tard conquérant des étoiles. C'est la qualité du super-vilain qui fait la qualité d'une histoire. S'il n'y avait pas eu le Psi, peut-être n'y aurait-il pas eu les rebondissements que j'ai pu trouver sur la fin.
Que pensez-vous de la réédition de "Mikros" chez Sang d'Encre ? Ne regrettez-vous pas que ce soit en noir et blanc ?
L'ancien public n'est pas contre le noir et blanc. Car ce sont eux qui achètent ces rééditions. Pour Mikros, il y a vingt-cinq albums prévus. Il y aura ensuite la réédition d'Epsilon, mais auparavant on fera paraître Kronos dans le courant de l'année prochaine, en couleur, j'espère, car n'oubliez pas que Kronos a la peau bleue, alors...
Reviendrez-vous au super-héros ?
Pourquoi pas ? Chez Soleil, ils attendent de moi une histoire moitié super-héros, moitié héroïc-fantasy, un peu barbare, quelque chose de fantastique. Mais rien n'est encore fait...
Propos recueillis par Jean-Louis TALLON
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