PIMPF (le portail des petits formats) : L'INTERVIEW


PIMPF : Vous avez débuté votre carrière de dessinateur avec des aventures de Blek le Roc. Comment et avec qui travailliez-vous dans l’atelier Lug ? Etiez-vous un amateur de ce genre de BD (petits formats) avant d'en faire votre métier ? Qu'en pensez-vous encore aujourd'hui ?
Jean-Yves MITTON : Je suis resté à plein temps à l'atelier LUG pendant 11 ans (la dernière année 71-72 à mi-temps, ce qui me permettait de faire de la BD l'après-midi chez moi). Nous étions 6 retoucheurs. Notre travail consistait à gouacher tout ce qui pouvait heurter la censure de l'époque Gaullienne et Pompidolienne (onomatopées, violences, armes, cadavres, culs et seins, expressions, etc...). Nous devions parfois reformater pour le 13x18 cm et réécrire les bulles traduites de l'américain ou de l'italien. La nuit, chez moi, je dessinais des centaines de couvertures, de jeux, de posters, d'illustrations et des séries comiques. Comme tous les gosses de milieu modeste, je lisais les "petits formats", et les albums me semblaient un monde inaccessible.
Vos premières œuvres - Sammy Sam (1965), Plume et Oum le Dauphin publiées dans les revues PIM, PAM, POUM, PIPO et ANIMAL PARADE – étaient humoristiques. Passer à des BD un peu plus réalistes (Blek le Roc, Mikros) a-t-il été facile ?
Oui. Je découvrais en vérité que j'étais fait pour le style réaliste. Un dessinateur réaliste peut facilement dessiner du comique. L'inverse est très rare !
Au début de votre carrière, vous retouchiez les histoires de Blek pour conformité avec la censure, avez-vous eu à exercer des retouches sur le Petit Duc ? D'une manière plus générale, que pensez-vous de l'oeuvre de Devi au sein de Lug et parlait-on de lui parmi les dessinateurs de Lug ?
Oui, pour les raisons invoquées plus haut (paragraphe 1). J'aimais beaucoup DEVI (que je n'ai jamais rencontré) pour son dessin dynamique, proche du fantastique comme HOGARTH ou Alex RAYMOND. Il était alors très coté dans la BD populaire et parmi nous.
Savez-vous si Marcel Navarro a vraiment recherché Devi en Italie lors de sa disparition ?
Aucune idée. J'ai coupé toute relation avec Marcel NAVARRO depuis 12 ans.
Pensez-vous que l'on pourra bientôt redécouvrir vos épisodes de Blek (en pockets ou en albums) ?
Je ne crois pas. Ayant été grugé par la Dardo sur des Droits d'Auteur inexistants et sur la séquestration de tous mes originaux de BLEK à Milan par l'éditeur CASAROTTI, je barre toute republication en France si je ne touche pas ne serait-ce qu' un Franc symbolique par page.
Vous avez dessiné en 1980 un superbe récit sur le Surfer d’Argent écrit par Marcel Navarro (NOVA n° 25 et 26), et, plus tard, des histoires de super-héros français (Mikros, quelques épisodes de Photonik, Cosmo, Epsilon et Kronos parus dans MUSTANG, SPIDEY et TITANS). Au début, vous sembliez inspiré par le style de John Buscema, avant de trouver votre propre style. Etait-ce difficile de plaire à cette époque au public français qui était friant d’histoires de super-héros américains ?
Pour paraître aux côtés d'auteurs US dans NOVA, et ensuite dans TITANS, j'ai été obligé de les imiter tout en adoptant un pseudonyme (John MILTON). Il fallait tromper le public Français (tout comme les chanteurs yé-yé de la même époque). Petit à petit, j'ai trouvé mon style propre et mon indépendance vis-à-vis des exigences de ce public et de la MARVEL.
Personnellement, je vous ai découvert sur Mikros (dans Mustang). Envisagez-vous un jour de poursuivre cette série, voire de la confier à un autre auteur ? Y-a-t-il une perspective de voir renaître une autre de vos séries ?
Non. J'estime aujourd'hui que ce genre de récit est démodé, et son public (super-héros) s'est réduit comme peau de chagrin. Les Américains sont assez talentueux pour s'occuper de leur apologie eux-mêmes !
Les aventures de Mikros ont été rééditées en album, mais en noir et blanc. Pourquoi ce choix un peu à contre-courant ?
Parce que le prix de revient était moins élevé. Ce qui n'a pas empêché les Editions SANG D'ENCRE de capoter.
Mikros était co-signé avec Malcolm Naughton (alias Marcel Navarro). Quelle était la répartition des tâches entre vous ?
Nous scénarisions ensemble MIKROS jusqu'au 25ème épisode (environ). Ensuite, j'ai scénarisé tout seul.
Mikros est quasiment l'anagramme de Mirko (Petit Duc).Est-ce voulu ? Y a-t-il une raison, une explication ou un rapport?
Aucun rapport. MIKROS (tiré de son vrai nom Mike Ross) évoquait un héros capable d'évoluer dans le microcosme, dans le monde de l'infiniment petit.
On retrouve (avec plaisir) les histoires de "Demain les monstres" dans Fantask. Quand elles seront toutes adaptées, est-il prévu qu'il y ait d'autres BD made by Mitton dans Fantask ? Si oui, lesquelles ?
Pour l'instant, aucun autre projet ne me lie à SEMIC.
Les aventures de la toute nouvelle "Fantask Force" utilise le Gondolier Noir, un de vos personnages avec aux pinceaux, un dénommé Reedman dont le trait a une nette filiation avec le votre. Pouvez-nous parler de vos liens avec ce dessinateur et cette série ? Quel effet cela fait-il de voir un de ses personnages devenir vivant sous la plume d'un autre ?
REED MAN est un débutant dans la BD. J'ai trouvé son trait remarquable, très "américain", qui ne demande qu'à s'améliorer au fur et à mesure des parutions. Il m'a demandé si je pouvais lui "prêter" le Gondolier Noir" ou tout autre personnage de mes anciennes séries. Aucun problème. En plus, il est très sympa. Et puis, au fond, je me sens flatté de découvrir mes "créatures" sous le pinceau d'autres artistes.
En vous associant avec le scénariste François Corteggiani pour les séries L’archer blanc et Noël et Marie et ensuite la série DE SILENCE ET DE SANG, vous êtes passé avec cette dernière aux albums. Comment s’est passée cette transition ?
Dans la même année (1988), il s'est trouvé que MICKEY recherchait un dessinateur de S-F et PIF un dessinateur apte à réaliser un récit "historique" pour illustrer le jubilé de la Révolution Française. François CORTEGGIANI, qui connaissait mon travail, a fait le lien. Ces 2 contacts simultanés m'ont définitivement sorti du monde du "petit format". Merci François !
Continuez-vous à travailler pour la SEMIC International sur les histoires du Fantôme et de Herman Storm parues dans les pays scandinaves ?
Non. Ces 24 épisodes (12 et 12) m'ont permis d'assurer mon départ de la LUG (qui ne m'a jamais payé un centime de Droits d'Auteur...les fumiers !).
Quelle est la BD dont vous êtes le plus fier ? Celle que vous avez eu le plus de plaisir à faire ?
Je n'ai aucune fierté de livrer tel ou tel travail (sauf la fierté très professionnelle de le livrer à la date de contrat !). J'ai d'excellents souvenirs de BLEK, sur lequel j'avais une totale liberté. J'ai beaucoup aimé créer les "CHRONIQUES BARBARES". SOLEIL me laissa beaucoup de latitude.
Vous avez dessiné beaucoup de science-fiction et pas mal de récits historiques. Est-ce que c'est le reflet de vos goûts personnels ?
J'ai un goût prononcé pour l'Histoire humaine. C'est le plus grand livre d'Aventures qui soit, inépuisable, tragique et cocasse à la fois. J'aime l'histoire parce que c'est difficile, documenté, exposé à la critique. La SF est plus facile. C'est pour cela que les débutants s'y précipitent. Dommage. Mais un jour ou l'autre, ils finiront par y accéder.
J-Y Mitton, merci.
Vive les BD, quelles qu'elles soient !!
Dominik Vallet, Franck Anger & J-Y Guerre
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