LA
TRIBUNE DE LYON : Vous allez bientôt fêter votre demi-siècle
de vie professionnelle. A quoi ressemblait ce milieu à vos débuts
? Comment a-t-il évolué ? Jean-Yves
MITTON : En 1961, il était facile pour un jeune qui sortait des Beaux-Arts
de Lyon, de trouver rapidement un job chez l'un des quatre éditeurs lyonnais
(Impéria, Les Remparts d'Aynay, Mouchot ou Lug). Je me suis présenté
chez Lug, rue Emile-Zola, avec mon carton à dessins sous le bras, bourré
d'esquisses et surtout ...d'illusions ! Il m'a fallu, avant de dessiner des séries,
travailler dans l'atelier de retouches pendant onze ans à gommer armes,
attitudes provocantes, ou sensuelles - on m'avait ainsi fait mettre un slip au
Surfer d'Argent qui a fini par retrouver sa nudité originelle sous la pression
du courrier des lecteurs. Cette censure m'a permis d'entrer dans la BD et m'a
enseigné les bases essentielles dont je me sers encore et toujours. Hormis
ces fondamentaux, les techniques graphiques et l'écriture ont à
peine évolué, et un auteur médiocre aura beau être
un expert en informatique, il restera médicocre. En dépit des modes,
l'art du dessin et l'art du script demeurent et demeureront toujours le B-A BA
du métier.
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Avez-vous
un regard particulier sur les nouvelles générations ?
Je n'ai pas à juger, n'étant
ni éditeur, ni diffuseur, ni commercial, ni libraire...ni même lecteur
! Je lis très peu de BD afin de ne pas être influencé. Aujourd'hui,
c'est la loi du marché qui décide les éditeurs et qui contraint
la plupart des artistes à un style, à un thème. Les Belges
sortent difficilement du genre BD humoristique imprimé par Dupuis ou semi-humoristique
imprimé par Casterman. Les Français se sont engouffrés dans
l'heroic-fantasy, et pour un jeune, hors de ce genre, point de salut ! Les codes
sont simplifiés, toute difficulté narrative est résolue par
la magie, le graphisme est plus facile car non contraint par la réalité.
Il sera toujours plus aisé de dessiner des filles cuirassées, des
monstres improbables et des cités englouties que des anatomies exactes,
des animaux authentiques et des quartiers de Lyon.
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Y
a-t-il une fracture culturelle entre vous ? Non.
Ce n'est pas ainsi que je le ressens, car la BD, comme le cinéma, le roman
et le théâtre, est un moyen d'expression universel, quels que soient
la culture, la langue et le sens de la lecture. Pas plus qu'il n'y a de fracture
culturelle entre John Ford, Kurosawa ou Truffaut, les Marvel US, les mangas ou
Tintin sont liés par les mêmes procédés expressifs.
S'il y a des nuances, et non des fractures, c'est dans le fond et non dans la
forme. Ces nuances ne sont que les reflets de nos sociétés.
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Maintenant,
vous pouvez bien nous l'avouer : vous êtes un super-héros...comment
aimeriez-vous conclure cette interview ? Ah
! Voler en slip au-dessus de la place Bellecour pour sauver une jolie Lyonnaise
des griffes d'un super-vilain... Je l'ai rêvé lorsque je dessinais
Mikros ; comme je rêvais la sauver des Indiens quand je dessinais
Blek le Roc, des Romains dans Vae Victis, ou du sacrifice aztèque
dans Quetzalcoatl... Je pourrais citer ainsi de nombreuses prouesses vécues
le pinceau à la main. Mais la seule que je puisse avouer, c'est de n'avoir
jamais connu le chômage, d'avoir pu m'exprimer et d'avoir tenu bon dans
ce formidable métier qui m'a fait rêver en donnant du rêve
aux autres. Bon, c'est pas tout ça, mais je dois retourner sur ma nouvelle
série Ben Hur pour Delcourt, et je dois ramer sur une galère
plus douce que la sienne pour tenir les délais de livraison...tout en rêvant
à ma future course de chars (rires). En BD, on est un super-héros
lorsque l'ont tient les délais !
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