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L'interview de "John MILTON"

 

FRED : Bonjour M. Milton. Comment a débuté votre carrière chez Lug ?
Jean-Yves MITTON : Je suis arrivé en 1958 à Lyon pour faire les Beaux-Arts. Avec des copains, nous cherchions du travail mais surtout un moyen d'expression: l'architecture, la publicité et, pourquoi pas, la BD ! Il yavait au début des années 60, quatre maisons d'édition de bandes dessinées de presse à Lyon. C'est ainsi que je fus engagé en Octobre 61 par Lug, pour une période d'essai de trois mois. La première tâche qui me fut confiée était le lettrage : c'est un très bon apprentissage qui à mon sens devrait perdurer dans les écoles.
Puis je passai à la retouche. On retouchait beaucoup à œtte époque, à cause des craintes liées à la œnsure, des BD italiennes, anglaises, américaines ... J'y suis resté onze ans! Et ensuite, j'ai fait des planches "bouche-trou" pour Rodéo, Névada, Kiwi ... Mon premier travail complet fut douze planches de Pim Pam Poum en 1962.
En parallèle, je créais chez moi, malgré un énorme travail, mes premières BD : Oum le dauphin pour les enfants, Sammy Sam du Westem comique ... qui furent publiées par la suite. On me confia peu après Bleck le Rock, un personnage importé d'Italie qui allait m'ouvrir les portes du réalisme quelques années plus tard. J'en ai fait 52 épisodes.
Avec l'arrivée des comics Marvel en 1968, je fus propulsé dans le monde de la BD réaliste. Je retouche les Fantastiques de Kirby, L'Araignée de Ditko et Romita Sénior, le Surfer d'Argent de Buscema ... Ce qui me permettra de développer dans les années 70 mes propres Sup'héros (Mikros, Cosmo, Epsilon ...) qui aux yeux des lecteurs étaient des produits américains. Au début, je signais John Milton. J'ai aussi travaillé sur Photonik de mon ami Ciro Tota.

Quels étaient vos rapports avec Cyrus A. Tota, à l'époque et aujourd'hui ?
Très fratemels, comme un petit frère, et il me le rend bien. Parfois, je l'admire pour son trait oriental et sa grande application. Moi je suis un cavaleur, lui il prend son temps. Il est né avec six mois de retard dans son travail BD et il les as gardés! On se voit toujours et j'ai plein de scénarios pour lui, j'espère qu'un album se fera un de œs jours !

Fred: Quel souvenir gardez-vous de œs années Lug ?
C'était de la folie, je devais rendre mes planches, ainsi que des couvertures et des retouches chaque mois ; j'en ai réalisé des milliers. Et je les ai toujours livrées dans les temps, c'est quelque chose qui me caractérise, d'ailleurs ! Je suis un bourreau de travail. Ca a aussi été pour moi une formidable école.

Votre travail sur le Surfer d'Argent est remarquable [Voir Nova 25-26]. Néanmoins, je note que pour le premier épisode vous avez complètement copié John Buscema et que l'on ne retrouve votre style que dans le second.
Ah bon? ... on ne m'a jamais dit ça ! En fait, c'était terrible, on avait l'accord exclusivement si l'on copiait Buscema ; j'étais très surveillé sur ce projet, mais j'ai dû me laisser aller sur le deuxième. Enfin ... les Américains ont accepté, c'est l'essentiel.
Après une aussi belle réalisation, on se demande pourquoi vous n'avez pas tenté une aventure américaine.
Jamais, non, jamais je n'aurais voulu aller la-bàs, je plains les Américains. Je suis monté chez Marvel, pour essayer de vendre mes personnages : au huitième étage sur Park Avenue, quarante types alignés sur leurs planches à dessins, dirigés par Romita Sr. J'aurais pas supporté. Ce n'est pas le pays de la BD, mais un pays de marchands.
Vous avez vécu l'arrivée des Super-héros Marvel en Franœ en 69 avec Fantask. Comment œla s'est il passé ?
Fantask a eu un sucres phénoménal ! Puis il a été torpillé par la œnsure (soupirs). Le matériel est arrivé chez Lug en 68 et dès les premières maquettes, on a dû faire des tas de retouches : mettre un slip au Surfer, gommer les écailles des extraterrestres (Les reptiliens Badoons), retoucher la Chose, ajouter des briques ...
Ensuite Strange a atteint des records de ventes : à la fin des années 70 et au début des années 80, on a dépassé les 200 000 exemplaires par mois ! c'était la période de vache grasse. [A comparer aux 65 000 d'un Spawn aujourd'hui - Fred] Les éditions Lug ont fait fortune à œtte époque, pas les artistes "maison". Ils avaient des coûts de production très bas et tous les titres marchaient bien. Les Américains avaient déjà rentabilisé le matériel sur leur marché et ils n'étaient pas très gourmands ; il Y avait surtout les taxes d'importation, mais ils achetaient le matériel avec deux ou trois ans d'avanœ. La super vache à lait, c'était Zembla, du matériel italien à quelques francs la page, avec très peu de taxes et ils s'écoulaient comme des petits pains. Les BD dans les kiosques, les gares. Ca marchait du tonnerre; en vendre 50 000, c'était facile, à l'époque.
Et comment se vendaient le Surfer d'Argent, L'Araignée, les X-men de Spécial Strange ?
Le Surfer n'a jamais bien marché, son coté pleurnichard ... Les fans ne s'identifiaient pas à œ héros.
Spider Man et son côté 2000, ça fonctionnait du tonnerre. Il faisait monter les chiffres dès qu'il apparaissait.

Il y a eu aussi la série animée de "L'Araignée", puis celle des "Quatre Fantastiques., au début des années 80.
Oui, mais le succés de Spider Man existait déjà bien avant, pour les Fantastiques aussi. Ca n'a fait que renforœr leur popularité. Pour les
X-Men et Spécial Strange, ça ne marchait pas aussi bien. Ce qui marchait le moins, c'étaient les Top BD et les albums, les hors-serie!!

Et la fin de Lug ...
En 87, ça sentait le dépôt de bilan ! Les petits formats ne se vendaient pas aussi bien, on ressortait toujours les mêmes histoires ou des fonds de tiroir, il fallait écouler œ qui avait été acheté d'avanœ ! Mais les lecteurs ne sont pas idiots, si on leur ressert toujours la même soupe, ils vont voir ailleurs. Le marché des Super Héros était aussi en baisse.
Mon demier travail pour Lug fut le Top BD : Demain ... les Monstres [Réédité en cartonné chez Soleil]. J'ai rencontré François Corteggianni qui travaillait chez Mickey et Pif et œ fut un changement de planète, aussi bien au niveau des contrats, du rythme de parution, du style ... Je passais de la Presse au Livre ! Des délais beaucoup moins serrés et un travail plus reconnu. Quand j'étais chez Lug, on ne nous invitait jamais dans les festivals et on s'en foutait royalement. J'ai vécu trois années chamières, la presse était confortable, on pouvait se projeter très loin dans le temps. Ce n'est pas le cas dans l'album où on vous prend et, si ça ne fonctionne pas, on vous jette, la vulnérabilité est
totale ! Il Y a beaucoup de drames chez les jeunes auteurs. Puis je suis entré chez Soleil et Glénat : l'album appelle l'album ; quand on entre chez l'un, tout le monde le sait.
J'ai commencé Vae Victis en 1990 et en même temps je dessinais pour Corteggianni : Noël et Marie qui paraissait dans Pif et L'Archer Blanc dans Mickey. Puis j'ai pris la suite de Malès sur De Silence et de Sang, série que j'ai quittée au Numéro 10. Ensuite, chez Soleil, Vae Victis continue, le 11 ème volume est sorti en février de cette année ; Les survivants de l'Atlantique continuent aussi avec un dessin de Félix Molinari.

Propos recueillis par Fred TREGLIA le Dimanche 17 Février 2008 pour Univers Comics
(Visitez le blog illustré : http://fredcomics.over-blog.com)


 

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