Né en 1945, Jean-Yves MITTON fait partie de ces auteurs complets qui ont débuté leur carrière en travaillant pour des périodiques. Il est encore un tout jeune homme quand, après une année aux Beaux-Arts, il est embauché chez LUG, l'éditeur lyonnais de Fantask, Strange et consorts, à qui l'on doit l'introduction en France des super-héros Marvel. A l'heure actuelle, Mitton mène trois séries de front (Quetzalcoatl chez Glénat, Les Chroniques Barbares et Les Survivants de l'Atlantique -avec Félix MOLINARI- chez Soleil) tout en ayant plusieurs autres projets en tête, que ce soit en tant que scénariste ou auteur complet. Mais dans l'esprit de beaucoup d'amateurs de comic books, il reste le plus américain de tous les auteurs français, grâce notamment à ses créations Mikros, Kronos, Epsilon, mais aussi au Silver Surfer dont il anima les aventures le temps de deux excellents épisodes. Pour les lecteurs de Marvel Magazine, il a très gentiment accepté de revenir en détail sur cette période marquante de sa longue et prolifique carrière. |
S'agissait-il de créations ou de travaux de retouche ? Essentiellement de la retouche. Il fallait énormément retravailler les documents qui nous parvenaient d'Italie ou d'Angleterre. En premier lieu, il fallait les traduire et la version française prenait souvent plus de place que le texte original. Nous devions ensuite reformater, recadrer la plupart des histoires. Mais ce qui nous procurait le plus de travail était -hélas !- la censure très sévère qui sévissait à l'époque. Nous devions retoucher tout ce qui était armes, visages agressifs ou grimaçants, onomatopées... sans parler de ce qui pouvait avoir une connotation sexuelle. Cela allait d'un sein un peu trop volumineux à une attitude jugée provocatrice en passant par un dos dénudé. Cela donnait à l'arrivée des BD très, très édulcorées qui font aujourd'hui sourire. Les lecteurs actuels et les jeunes auteurs ne se rendent pas forcément compte du poids que pouvait avoir cette censure à l'époque. Croyez-moi, cela a souvent été très frustrant au cours de mes onze années de présence chez Lug. Si bien qu'après mes journées à l'atelier, je rentrais chez moi et je me mettais à travailler sur mes propres BD. C'est comme cela que j'ai pu placer Sammy Sam, l'histoire humoristique d'un cow-boy sur une chaise à roulettes ou bien Plume, les aventures d'un petit Indien. En fait, j'ai commencé mes premières "vraies" BD juste avant de partir au service militaire, en 1964. Lorsque j'en suis revenu fin 65, j'ai attaqué avec Blek le Roc, une série qui m'a mis le pied à l'étrier et m'a vraiment fait rentrer dans le monde de la BD. |
Fini le travail de studio au profit d'un véritable travail d'auteur... |
Revenons un peu en arrière si vous le voulez bien. Comment avez-vous vécu les début de l'adaptation des personnages Marvel par Lug ? Les connaissiez-vous avant ? La "planète BD" étant finalement très petite, je savais que des BD de super-héros étaient produites aux États-Unis de manière quasi industrielle. Je connaissais Tarzan, Dan Dare, une série britannique... et l'Angleterre a souvent servi d'antichambre pour l'Europe à l'importation US. Nous commencions à entendre parler de Spider-Man et d'un seul coup, nous avons vu arriver des piles entières de comic books à l'atelier. Personnellement, j'étais en admiration devant le trait américain. Je le suis toujours d'ailleurs. Je trouvais les scénarios un peu pauvres, très manichéens, mais le dessin me fascinait, en particulier celui de John Buscema. D'ailleurs, je ne peux toujours pas me débarrasser de son influence, dont j'ai été totalement imprégné. |
A bien y regarder, compte tenu des années d'atelier et du nombre de couvertures que vous avez produites, vous êtes finalement l'un des auteurs "américains" les plus prolifiques ? (rires)... Disons que je faisais quasiment partie de leurs bureaux, même en vivant outre-Atlantique. J'étais le dernier maillon de la chaîne en France. C'est vrai que la retouche me permettait de m'immiscer dans leur travail et de le connaître de très très près. Lorsque l'on fait un travail de retouche, on "touche" les originaux -ou du moins, les bromures à l'époque- de manière sensuelle, physique... |
Avec quel outil travailliez-vous ? Nous ne travaillions qu'au pinceau, ce qui est une excellente école. Les premières retouches, je les ai effectuées en tremblant. Reprendre le Surfer ou le visage de Shall-Bal, c'était sacré pour moi (rire). Bien sûr, avec le temps, j'ai incorporé ces "trucs" à ma propre technique. Je parle de Buscema, mais je pourrais tout autant citer d'autres grands dessinateurs classiques tels que Colan ou Kane. Je crois qu'il y a eu un changement avec l'arrivée de Frank Miller. Il a opéré une rupture avec le style académique d'artistes comme Buscema chez Marvel au profit d'un style plus moderne avec un trait plus aigu, plus cassé. Il a introduit un trait plus "rapide", tout en étant extrêmement maîtrisé. C'est remarquable, parce que les comics sont réalisés en groupe. A l'époque, j'étais allé à Park Avenue (dans les locaux de Marvel -ndlr) et j'y avais vu une quarantaine de jeune auteurs produire et dessiner des BD à la chaîne. Chez nous, cela reste encore très artisanal. |
Que retenez-vous globalement de cette période, qui reste "mythique" aux yeux des plus anciens lecteurs ? Ce fut une expérience très enthousiasmante, mais qui en même temps, m'a laissé un arrière-goût amer. Travailler en atelier pour des périodiques est un excellent moyen d'apprendre son métier, et sur ce plan, je suis heureux de cette expérience. A titre personnel, je ne savais pas jusque dans les années 70 que j'allais faire de la BD mon métier. En contrepartie, j'ai eu affaires à des personnes qui d'une certaine manière m'ont bridé. Je pourrais presque dire que l'on m'a "volé" dix années de mon existence. Ce que je fais maintenant, les séries que je crée en albums, j'aurais dû les débuter dix ans plut tôt... En revanche, depuis 1987, date à laquelle je suis "sorti" des périodiques, j'ai probablement réalisé autant de choses que d'autres auteurs durant toute leur carrière. |
C'est tout de même cette expérience qui vous a permis de passer dans un premier temps à vos propres création chez Lug (Mikros, Cosmo, Kronos, Epsilon...) puis ensuite aux séries en albums ? La "reconnaissance" n'est venue qu'avec les albums (la reprise de "De Silence et de Sang" avec François Corteggiani chez Glénat -ndlr). Avant cela, il faut savoir qu'il n'y avait pas autant de Festivals de BD que maintenant. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés quasiment à l'autre extrême, où on vous déroule le tapis rouge (rires) ! C'est presque trop ! J'étais loin de me douter que j'arriverais à cela en faisant du travail de studio. A une époque, je n'étais pas loin d'accepter de signer sous de faux noms certains travaux que je faisais en imitant les styles de Kirby ou de Buscema. |
On se souvient effectivement de planches de transition que vous aviez réalisé sur le Graphic Novel du Surfer de Kirby, publié en épisodes dans Nova. Mais puisque nous évoquons le Surfer, parlez-nous de ce double épisode paru dans Nova 25 et 26 ? D'où est venue cette idée ? Nous manquions tout simplement de matériel. Nova était sorti depuis deux ans environ et nous étions arrivés au bout des épisodes américains du Surfer. Il fallait absolument trouver quelque chose, et les séries US envisagées étaient... atroces. Nous avons demandé la permission à Stan Lee et à Buscema de faire deux épisodes du Surfer. Il a fallu que je fasse des essais, deux pages avec le Surfer en action et où je me suis fortement inspiré de Buscema. Cela rentrait complètement dans le moule Marvel et le projet a été accepté. Alors, on s'est mis au boulot et avec Marcel Navarro, nous avons réalisé ce double épisode en l'espace de trois mois. |
En faisant un retour rapide sur votre carrière, on pourrait penser que les super-héros vous poursuivent : vous travaillez avec Félix Molinari, qui a longtemps dessiné SuperBoy (rien à voir avec celui de DC !), les épisodes de Mikros (chez Sang d'Encre) et de l'Archer Blanc (chez Soleil) sont réédités en albums à l'heure actuelle... Seriez-vous tenté par un retour vers ce genre ? Je dois avouer que je travaille de manière beaucoup plus posée dorénavant, avec une véritable documentation. Je sais bien à l'avance ce qui va se produire dans les futurs albums de mes séries. C'est nettement plus reposant, et en plus, les séries fonctionnent bien. Et puis encore faudrait-il qu'il existe une presse périodique prête à publier des travaux inédits de ce genre... Franchement, je dois tout de même avouer que parfois le principe de l'histoire à suivre me titille, avec son côté débridé mais toujours maîtrisé. On m'a bien proposé de reprendre quelques séries qui fonctionnaient sur le principe du "feuilleton", et même de travailler sur Blueberry par exemple. Mais le genre Western ne m'attire pas, il est trop "irréaliste", hollywoodien. Quitte à donner dans la fantaisie, j'aimerais autant retravailler sur des histoires de super-héros, refaire un Surfer... |
A bon entendeur !... Avant de vous remercier pour votre disponibilité et votre gentillesse, nous vous laissons le choix du mot de la fin... ... en BD, le mot de la fin, cela peut-être "à suivre" !... |
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